Après une exposition très réussie en 2018, des œuvres majeures et inédites de la collection de la Fondation Pinault sont présentées au Couvent des Jacobins, ancienne caserne et édifice religieux jusqu’au 29 août 2021. Alors pourquoi ne pas faire un détour par Rennes, capitale de la Bretagne qui séduit tant par son dynamisme économique que par sa vie culturelle riche. Pour découvrir 110 œuvres d’art contemporain en Noir & Blanc dans le cadre de l’exposition « Au-delà de la couleur, le Noir & Blanc » dans le lieu emblématique du Couvent des Jacobins. Tout comme l’exposition « La Couleur Crue », elle s’inscrit dans le projet Exporama, le nouveau rendez-vous de la région pour affirmer la diffusion de l’art contemporain.

Vaste débat qui anime les esprits depuis l’Antiquité. Artistiquement, le Noir et le Blanc sont utilisés au même titre que les autres couleurs. Selon les scientifiques le Blanc est la somme de plusieurs couleurs différentes superposées.

Si la définition d’une couleur implique qu’elle soit associée à une longueur d’onde particulière, alors le Blanc n’est pas une couleur. Sous ces critères, le Noir ne serait pas non plus une couleur, car il n’a pas non plus de longueur d’onde. Il est d’ailleurs à remarquer qu’il ne fait pas partie des couleurs de l’arc en ciel. Enfin, comme pour « toutes les couleurs » la perception du Noir et du Blanc a évolué au fil des siècles.

Dans la Bible, il a un statut négatif, associé aux ténèbres. Au Moyen-Age le bon et le mauvais Noir cohabitent, puis il devient une couleur curiale et même royale jusqu’au XVIIème siècle.

A la fin du XVème, associé au Blanc, il n’est plus une couleur. Comme l’explique Michel Pastoureau dans son ouvrage consacré au Noir, « Noir, histoire d’une couleur », Newton découvre le spectre par ses expériences du prisme, et impose un nouvel ordre des couleurs au sein duquel il n’y a plus de place, ni pour le Blanc ni pour le Noir… !

Louis-Bertrand Castel, mathématicien de son état, a pu affirmer « tout vient du Noir et se perd dans le Blanc ». Depuis lors, de nombreux artistes se sont exprimés en Noir et Blanc.

Bien sûr, on pense à Pierre Soulages, qui depuis 1979 peint des tableaux monochromes en Noir jouant avec les nuances de Noir, la lumière, les textures… magnifiant le Noir au-delà du Noir, selon l’expression créée par ses soins de « l’outrenoir ».  C’est aussi le cas de Karin Sander pour qui le Blanc est un axe important. Anton Corbjin lui, a peint des artistes en Noir et Blanc pour finir par se lancer dans des films en N&B. Michael Hanneke en est aussi un grand utilisateur tout comme l’icône de la mode qu’était Karl Lagerfeld…mais pas seulement.

Jeff Koons, Man Ray, Antoni Tapies, Annie Leibovitz, Henri Cartier Bresson et bien d’autres sont présents, sculptures, peintures, photographies, dessins, vidéos …

Un « coup de tête » célèbre en noir, celui de Zinédine Zidane, d’Adel Abdessemed

L’œuvre la plus monumentale est celle du coup de tête en bronze de Adel Abdessemed qui clôture l’exposition. Elle fait référence au coup de tête, malheureusement célèbre, porté par Zinédine Zidane sur Marco Materazzi lors de la finale de la coupe du monde de 2006. L’artiste dit l’avoir reçu par le biais de la télévision. Ce qui l’a intéressé, c’est le lien avec ses origines algériennes, le stade en Algérie étant selon lui, le seul lieu où il y a des lois et des règles. Comme il l’explique, « une œuvre d’art n’a pas vocation à changer le monde, mais elle peut changer un regard ». Et c’est cela qu’il a voulu traduire, notamment dans cette sculpture majestueuse et dont les formes sont harmonieuses, de plusieurs mètres.

« Bourgeois Bust » de Jeff Koons

On passe au Blanc. Œuvre d’une grande pureté très sensuelle, Bourgeois Bust ce sont 2 troncs nus : celui d’une femme à cheveux longs et d’un homme enlacés, prêts à s’embrasser. On les dit célèbres, en marbre Blanc à l’image des sculptures classiques posées sur un socle Blanc.

De l’amour à la mort, « les gisants » de Maurizio Cattelan comme un écho du passé retrouvé

Les gisants de Maurizio Cattelan dans le cloître viennent en écho aux près des 1000 sépultures découvertes lors des fouilles réalisées au Couvent des Jacobins démarrées en 2012. La découverte de nombreuses sépultures ont permis de faire avancer la recherche sur les rites funéraires de la noblesse bretonne et européenne. Neuf corps que l’on devine sous des linceuls en marbre, sont alignés le long d’un mur Blanc de pierre, surmonté par des fenêtres à vitraux bleutés. Majestueux, solennels, ils nous imposent un recueillement silencieux. 

Des Menhirs Noirs : « Treshold Menhir » de David Nash
Dans les jardins du cloître, deux menhirs Noirs s’élèvent, majestueux. A l’image des menhirs qui peuplent notamment les alignements tout autant célèbres que mystérieux de Carnac ou encore de Stonehenge en Grande-Bretagne. Ils sont imposants seuls, bordés de pissenlits jaunes qui font ressortir la couleur noire.

De la photographie à la mode : Man Ray et St Laurent 
Noire et Blanche de Man Ray de 1926 est une de ses œuvres emblématiques avec ses deux visages, le Blanc celui d’une femme, Kiki de Montparnasse tenant près d’elle un masque africain. Ses visages se complètent tout autant dans les formes et les contrastes, que les vêtements de haute couture, représentés par le célèbre costume de St Laurent, la Petite Robe Noire imaginée par Chanel, ou encore la robe cocktail blanche de Balanciaga.

Du rire et de l’humour avec « Bear and Rabbit on a rock »
de Paul Mc Carthy
Un lapin Blanc – pas celui d’Alice au Pays des merveilles ! – et un ours Noir dansent sur un rocher. Ces deux animaux résument à eux seuls le fil rouge, Blanc ou Noir, de l’exposition, marquant que les contrastes et les oppositions sont toujours possibles pour apporter richesse et espoir, mais aussi humour dont notre époque à bien besoin.

S’il fallait démontrer que le Noir et le Blanc sont bien des couleurs, cette sélection d’œuvres toutes plus étonnantes les unes que les autres en sont un beau témoignage. Ce sont les artistes qui ont donné dès 1860 le statut qui avait été le leur au Moyen Age puis en écho la Fondation Maeght lors d’une exposition qui proclamait en 1946 « le Noir est une couleur ».

S’il fallait le démontrer, la richesse des œuvres constituant la collection de la Fondation Pinault avec cette exposition en est une fois encore un bel exemple. Et on ne peut que se réjouir que ces œuvres soient présentées à Rennes en écho à une autre exposition « La Couleur Crue » au Musée des Beaux-Arts et, ce, au moment où la Bourse de Commerce vient d’ouvrir à Paris.